Homélie de la messe de la nuit de Noël

Bienvenue. J’aurais pu vous souhaiter déjà la bienvenue au tout début de la messe, mais j’ai eu pitié de ceux qui viennent de loin, et qui n’ont peut-être pas réussi à trouver un train pour les amener à l’heure au début de cet office. Enfin, vous êtes là, c’est l’essentiel.

Et puis on ne va pas parler des trains le soir de la nuit de Noël…, évitons de parler de ce qui fâche…,

mais, allez quand même, un tout petit peu, parce que je crois que c’est assez révélateur de l’état de notre société. Une société dans laquelle le « Moi je » est devenu roi! La grève des contrôleurs à laquelle nous assistons n’est d’ailleurs pas un mouvement social, même s’il en a les apparences : ce sont des « moi je » qui se cooptent via les réseaux sociaux pour former un immense « moi je », sans tenir compte évidemment de ce que cela peut engendrer chez les autres comme galère … Le « moi je » ne se soucie pas des autres, il se suffit à lui-même, il vit en autarcie, enfermé sur lui-même. Le fait qu’il parvienne à faire nombre suffit à lui donner une apparence de légitimité sociale. Mais de fait, il n’a que faire de la société, c’est-à-dire de la manière dont on va gérer
le bien commun, il ne se soucie que de lui-même: il est le reflet, ou plutôt le miroir dans lequel chaque « moi je » peut se voir et donc se satisfaire de lui-même. Mais ce « moi je », est-ce vraiment moi?

Ce « moi je » qui se construit à partir des réseaux sociaux, du nombre de followers ou de likes que l’on comptabilise chaque jour, ce « moi je » est-il vraiment « moi », ou une fuite du moi?

Je pense à cet ouvrage de Jean-François Noël, dont le titre est révélateur: « Où es-tu? » Où est tu, si tu fuis ton « moi » (réel) en construisant un mot social qui n’est pas toi, celui que t’ont attribué, avec ta complicité mais aussi un peu malgré toi, le « moi » de tes followers?

« Où es-tu? », savez-vous que c’est la première parole que Dieu prononce dans le dialogue qu’il a avec Adam? Adam a mangé du fruit défendu, il a laissé libre cours à son « moi je », et désormais, il se découvre nu. Alors, quand Dieu vient à la brise du soir pour s’entretenir avec lui, il ne le trouve pas; aussi, demande-t-il : « Où es-tu? »

De fait, Adam a cessé d’être lui-même dès le moment où il a transgressé la loi divine; du coup il s’est fait un vêtement avec des feuilles de vigne pour cacher sa nudité, mais surtout pour se cacher de Dieu, et peut-être un peu de sa propre honte.

Le mal de notre monde - et il ne date pas d’hier -, c’est que nous avons du mal à être soi. Alors je m’habille de mes likes, je m’habille de mes followers pour me donner une certaine consistence, mais tout cela fait finalement obstacle à ce qui devrait être ma tâche principale: retrouver mon moi, savoir vraiment qui je suis!

Après ce tableau hautement pessimiste, j’en conviens, j’ai quand même une bonne nouvelle à vous annoncer:

Aujourd’hui vous est né un Sauveur!

Un Sauveur, c’est quoi? C’est celui qui vient vous sauver de votre « moi je »; c’est celui qui vient vous dire, qui vient te dire dans le creux de l’oreille: « Tu as du prix à mes yeux, et je t’aime. »

C’est un « Tu » qui parle à ton « moi profond ». Tu n’as pas besoin de chercher ailleurs qui tu es, dans le décompte de tes followers,
que dans la parole d’un Dieu qui s’adresse à toi en te disant: « Tu comptes infiniment pour moi, et je t’aime. »

C’est dans ce regard de Dieu sur moi, que je découvre la vérité de mon être. C’est cela qui me sauve, c’est cela le salut.

Encore faut-il pouvoir entendre cette parole que Dieu m’adresse: « Où es-tu? »
Et où puis-je mieux l’entendre qu’à l’église? Non que Dieu habite dans une église, pas plus celle-ci qu’une autre, mais parce qu’on y proclame, tout simplement, la parole de Dieu.

« Où es-tu? » N’est-ce pas, en filigrane, cette question qu’il m’est donné d’entendre chaque fois qu’on lit les Écritures?

Où es-tu ?

- Dans ces pêcheurs qui reviennent bredouille de leur pêche?

- Dans cet homme avisé qui construit sa maison sur le roc plutôt que sur du sable?

- Dans ce fonctionnaire romain qui réquisitionne quelqu’un pour porter ses bagages?

- Dans cette petite vieille qui casse les pieds d’un juge jusqu’à obtenir justice?

- Dans cet homme qui réveille la nuit un de ses amis pour lui demander un peu de pain car il a des invités qui sont arrivés chez lui à l’improviste?

- Dans cet enfant à qui l’on demande d’apporter à Jésus les quelques poissons et morceaux de pain qu’il possède?

- Dans cette pauvre veuve qui dépose quelques piécettes dans le tronc du Temple…?

Ne te reconnais-tu pas dans l’un de ces personnages, ou d’autres que Jésus a croisés durant ces trois années de pérégrinations à travers les routes de Palestine?

Dieu te cherche, il est venu jusqu’à toi en la personne de son Fils pour te trouver, non pas pour t’empêcher de vivre mais pour que tu puisses vivre vraiment ta vie, sans la fuir, ou la gâcher dans des expériences sans lendemain.

Ce soir, en cette nuit de Noël, approche-toi de Jésus. Comme les bergers l’ont fait, comme les mages l’ont fait, avant toi. Prosterne-toi devant lui: non pas physiquement, bien sûr, mais par toutes les fibres de ton être; ouvre-lui ton cœur, ou mieux encore, si tu le peux, si tu y es prêt, offre-lui ton cœur. Sachant que dans la Bible, le cœur est le lieu des grandes décisions, lui offrir ton cœur, c’est en quelque sorte, lui dire, comme le jeune Samuel: « Me voici. » Tu m’appelles, Seigneur? « Me voici. »

Oui, si tu le peux, quel que soit ton âge, ton statut social, ton état de vie, offre-lui ton cœur, alors tu verras que ta vie en sera transformée. Car alors Dieu viendra habiter chez toi. N’est-ce pas pour cela, pour cet ultime objectif, que Dieu te cherche? Habiter chez toi, dans ton cœur.

Amen.